Pour une approche globale des violences intrafamiliales :
LE CONTROLE COERCITIF
Il appartient à tous les professionnels, ayant à connaître des violences intrafamiliales, d’élargir leurs champs de réflexions en reconnaissant que le contrôle coercitif est une forme de violence sociale restreignant les droits humains, les droits à l’égalité et à l’autodétermination.
En France, nous devons agir pour que le concept de contrôle coercitif soit connu, reconnu, maîtrisé par tous les professionnels ayant à connaître des victimes de violences conjugales afin de protéger plus rapidement les femmes et les enfants, de prévenir les passages à l’acte.
De même, il est vivement souhaitable pour la protection des femmes et des enfants :
- qu’une définition des violences intrafamiliales soit intégrée dans le code pénal ;
- que dans le code civil, un article distinct des articles relatifs à l’ordonnance de protection, définisse le contrôle coercitif pour en faire un outil dans le cadre des contentieux familiaux ;
- que soit créée, pour lutter contre la fragmentation judiciaire, une justice spécialisée désignant dans chaque tribunal judiciaire un juge des VIF qui coordonnera « l’activité des différents magistrats, avec pour objectif de faire circuler l’information et de procéder au repérage en coordination étroite avec le parquet, mais aussi les avocates et avocats » comme le préconise Madame Gwenola JOLY-COZ, Présidente de la Cour d’Appel de POITIERS.
La violence conjugale est majoritairement représentée à travers des actes, surtout physiques : la « femme battue ». Ne nous y trompons pas ! Cela est UNE forme de coercition parmi d’autres, les violences se déclinant en violences physiques, sexuelles, sexistes, verbales, psychologiques, économiques, administratives, sans omettre les cyberviolences. Soyons convaincus que l’acte apparent violent est une partie visible des violences !
Cette approche restrictive des violences conjugales trouve son origine dans le droit pénal français qui retient exclusivement les violences apparentes, établies, épisodiques, permettant d’ouvrir le champ des poursuites pour, bien souvent, UN chef d’inculpation qui ne renvoie pas à tous les stratagèmes de domination mis en place par l’auteur. Lesdits stratagèmes sont occultés, passés sous les radars, alors qu’ils participent à l’aboutissement de l’acte de domination pour lequel la justice incrimine l’agresseur. La négation de ce contexte de violences assure une impunité à l’auteur qui pourra ainsi continuer à agir pour dominer, contrôler, saper sa victime. Un constat : si les professionnels en charge des victimes des violences intrafamiliales (VIF) sont sensibilisés au cycle de la violence conjugale pour accompagner les victimes, le droit français ne l’intègre pas dans ses textes.
Il n’y a pas lieu dès lors de s’étonner de l’état des lieux dressés par le Haut Conseil à l’Egalité en 2021 :
« Alors que chaque année plus de 210 000 femmes sont victimes de violences conjugales et qu’elles sont plus de 125 000 qui parviennent à se déclarer auprès des forces de sécurité intérieure, en 2019, seuls 52000 agresseurs conjugaux font l’objet d’une réponse pénale. »
A-t-on demandé à la victime quel est le vécu qui provoque en elle le plus d’angoisse : la violence incriminée ou le quotidien de domination, addition dans le temps de moult violences ? Ce quotidien, enraciné dans les habitudes du couple, est la manifestation d’une représentation sociale, « un héritage sexiste » qui prône l’inégalité entre les hommes et les femmes, les rapports de pouvoir et de domination entre les hommes et les femmes. La culture du patriarcat est tellement ancrée dans notre société que la responsabilité des victimes est bien souvent soutenue : « Elle l’a bien cherché », alors qu’il sera avancé des excuses pour l’auteur telles que : histoire familiale, une situation précaire, etc.
Avec pertinence, Gwenola JOLY-COZ, Présidente de la Cour d’Appel de POITIERS, rappelle dans son ouvrage « Elle l’a bien cherché », l’ancien article 213 du Code civil de 1804 : « Le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance à son mari ». Elle ajoute : « Le rapport de force est clair, il résume l’essentialisation de la femme comme un être fragile, à protéger, mais aussi indocile, à mâter. La soumission de l’épouse est une donnée de l’équilibre du couple. » Plus de deux siècles plus tard, les femmes combattent toujours les dominations masculines nuisibles, destructrices, véritables atteintes aux droits humains et plaident sans relâche pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes. Or, l’approche qui est faite des violences conjugales en droit français est aujourd’hui inadaptée à la lumière des travaux, réflexions menées par les universitaires, les scientifiques, les professionnels en charge des victimes de violences conjugales. A juste titre, Andreea GRUEV-VINTILA, Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale à l’Université de Paris-Nanterre, dans son ouvrage « Le contrôle coercitif – Au cœur de la violence conjugale », rappelle que la violence conjugale est une sous classe de la violence sociale et doit donc avoir la même priorité que la criminalité organisée, le terrorisme et la maltraitance des enfants. Comme les autres formes de coercition, toute violence est axée sur un objectif : cibler l’autre au nom de valeurs, de croyances, d’idéologies.
Rappelons que le rapport de force est asymétrique, dominant/dominé, avec la volonté de contrôler sa partenaire. Les tactiques mises en œuvre ont pour seul but de rabaisser la femme, dégrader son estime de soi, l’isoler de ses amis et de sa famille, limiter, contrôler son accès à l’argent, lui ôter tous pouvoirs sur les biens du couple, surveiller ses activités, etc. Ces « tactiques » ne sont pas des sous-catégories de violences. Elles constituent les violences les plus destructrices qui génèrent : angoisse, peur, crainte, perte de confiance en soi, isolement et in fine rendre impossible le départ du foyer. Certaines législations européennes les qualifient et les incriminent à juste titre sous la terminologie de violences domestiques. En 2007, Evan Stark, sociologue américain développe le concept du « contrôle coercitif » qui regroupe tous les moyens déployés par un agresseur pour contrôler sa victime et ainsi mesurer combien « les femmes battues vivent dans un environnement où leurs choix quotidiens sont définis et limités par les conséquences possibles que leur partenaire pourrait leur imposer ».
Le contrôle coercitif remplace la question : « Pourquoi n’est-elle pas partie ? » par : « Comment s’y est-il pris pour l’empêcher de partir ? »
En laissant toujours invisibles les stratagèmes de contrôle des victimes, notre justice au nom de la présomption d’innocence, de la prescription, du contradictoire, des règles de preuve, prive les victimes (femmes – enfants) et notre société, de la compréhension sociétale de la VIF. Les réponses ne sont pas adaptées tant pour les victimes que pour les auteurs. Il convient de rappeler que certains comportements violents objectivés sont rarement poursuivis ou sont orientés sans prendre en compte le danger encouru par les victimes.
Ces moyens déployés par un agresseur pour contrôler sa victime ne peuvent continuer à rester invisibles et donc impunis. Ils doivent être pris en compte, en matière de justice pénale, droit de la famille et protection de l’enfance.
« Le droit agit au nom de la société selon les représentations d’une époque. Il cible des comportements objectivement visibles nécessairement au niveau individuel, mais qui sont définis, repérés, reconnus et objectivés comme violents à partir d’un système de représentation collectif, partagé, lequel peut les sanctionner ou les laisser impunis, poser ou non des interdits fondamentaux en les incriminant. » Andreea GRUEV-VINTILA
En France, Universitaires, magistrats, parlementaires, s’emploient aujourd’hui à porter le concept du contrôle coercitif sur le devant de la scène judiciaire, tant au pénal qu’au civil.
Missionnées par la Première ministre, la députée Emilie CHANDLER et la sénatrice Dominique VERIEN ont déposé un rapport (2023) consacré au traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Les deux corapporteures souhaitent faire connaître la notion de contrôle coercitif afin qu’il soit intégré dans les procédures de signalement. « Il s’agit pour la victime de prendre conscience du fait qu’elle est dans une situation anormale. Se dire que non, ce n’est pas normal que l’on me demande systématiquement où je vais, qu’il y ait une puce GPS dans mon téléphone, ma voiture, que l’on contrôle mes déplacements, mon travail, mes relations, mes dépenses. » Emilie CHANDLER. La députée, à titre personnel, est favorable à la création d’un dispositif de sanction autour du contrôle coercitif.
Gwenola JOLY-COZ : « Ce concept récent en France a l’avantage pour le juge d’être plus aisément prouvé par la succession des actes de contrôle, que l’emprise qui relève de la situation psychologique de la victime. Il déplace la focale de l’état de la victime vers le comportement de l’agresseur. Il permet aussi à la justice de déterminer un niveau critique de danger, pour mieux prévoir et anticiper. » Ainsi, privilégier le concept du contrôle coercitif qui constitue une approche plus complète des violences intrafamiliales permettrait de protéger plus rapidement les victimes et de contrôler certaines procédures abusives à l’initiative de l’agresseur (saisine du JAF – plainte pour non-présentation d’enfant) qui constituent en raison des antécédents de violences, une violence judiciaire post séparation. Enfin, l’argument de l’auteur consistant à soutenir le syndrome d’aliénation parentale serait annihilé. Ainsi, la Cour d’Appel de POITIERS, présidée par Madame JOLY-COZ a rendu cinq arrêts le 31 janvier 2024, où à chaque fois, le concept du contrôle coercitif a été développé.
La Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 14 décembre 2021 a employé la notion de contrôle coercitif à propos d’un mari qui surveillait les mouvements de sa femme, la traquait, l’enfermait dans la voiture et menaçait de la tuer. Elle a pointé les lacunes des droits nationaux à ce sujet.
Le Royaume-Uni, la Belgique, le Canada, le Danemark, la Suède, l’Australie, certains états aux Etats-Unis, ont pris en compte le contrôle coercitif soit pour en faire une infraction criminelle, soit pour l’intégrer dans une définition civile des violences conjugales.
En France, il est à espérer que le concept de contrôle coercitif soit connu, reconnu, maîtrisé par tous les professionnels ayant à connaître des victimes de violences conjugales afin de protéger plus rapidement les femmes et les enfants, de prévenir les passages à l’acte. De même, il est vivement souhaitable pour la protection des femmes et des enfants :
- Qu’une définition des violences intrafamiliales soit intégrée dans le code pénal qui, à ce jour, n’en donne aucune.
- Que dans le code civil, un article distinct des articles relatifs à l’ordonnance de protection, définisse le contrôle coercitif afin qu’il puisse être un outil dans le cadre de tous les contentieux familiaux.
- Que pour lutter contre la fragmentation judiciaire, il soit mis en œuvre la préconisation de Madame JOLY-COZ de créer une justice spécialisée désignant dans chaque tribunal judiciaire un juge des VIF qui coordonnera « l’activité des différents magistrats, avec pour objectif de faire circuler l’information et de procéder au repérage en coordination étroite avec le parquet, mais aussi les avocates et avocats ».
Des avancées importantes ont été faites. Toutefois, les chiffres constants du nombre des victimes de violences intrafamiliales nous obligent à repenser la compréhension desdites violences et leurs conséquences. Le contrôle coercitif propose une approche globale, cohérente des violences intrafamiliales qui peut et doit entrer dans les dispositifs des décisions judiciaires, comme le démontrent les arrêts rendus par la Cour d’Appel de POITIERS.
Il appartient à tous les professionnels ayant à connaître des violences intrafamiliales d’élargir leurs champs de réflexions en reconnaissant que le contrôle coercitif est une forme de violence sociale restreignant les droits humains, les droits à l’égalité et à l’autodétermination. C’est l’affaire de toutes et tous.
Documentation :
Rapport de la mission parlementaire CHANDLER-VERIEN : Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales (2023)
Gwenola JOLY-COZ : « Elle l’a bien cherché » La justice et la lutte contre les violences faites aux femmes aux Editions dialogues – Collection Mercuriales
Andreea GRUEV-VINTILA, Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale à l’Université de Paris-Nanterre, dans son ouvrage « Le contrôle coercitif – Au cœur de la violence conjugale »